Article du Parisien du Jeudi 12 Octobre 2000


FOOTBALL, PSG - OM (J - 1). Depuis son plus jeune âge, Peter Luccin éclabousse les terrains de football de toute sa classe. A 21 ans, l'enfant de Marseille est devenu naturellement la pierre angulaire du PSG. Histoire d'un itinéraire hors normes.

De Marseille à Paris, la saga Luccin

UN TERRAIN VAGUE niché au pied d'immeubles corsetés de béton. Des gamins s'y agitent, captivés par un ballon. Les poteaux de fortune sont confectionnés à l'aide de cartables d'écolier. Cette scène ordinaire des quartiers Nord de Marseille date du milieu des années quatre-vingt. Peter Luccin en est la principale vedette. L'image reflète encore aujourd'hui le quotidien de beaucoup d'enfants dans une ville où le football est roi. L'âme de Peter est liée aux bâtiments de la Simiane, sa cité. L'esplanade goudronnée, c'est sa favela à lui. Des petits ponts sur le macadam, des invectives, des plongeons. A 7 ans, après une expérience de karatéka sans lendemain, il enfile le maillot de gardien de but du petit club de Saint-Joseph.

« Il se faisait aimer partout où il passait »

Dix ans sonnent. Reconverti ailier droit, Peter rejoint Vivaux-Marronniers, au sud de la ville. Il s'y taille une petite réputation. « Il ne lâchait rien », confie un intime. Cette nature pugnace lui vaudra d'être surnommé « Pete Bull » par ses potes. « Lors d'un match de pupilles, j'ai vu un joueur contrôler le ballon et lober notre goal de plus de trente mètres, se souvient Yves Ciculo, le président des Caillols. C'était Peter. » Aux Caillols, pépinière de talents, où l'ont précédé Jean Tigana ou Eric Cantona, « Pete » se comporte vite en métronome, récupérant une multitude de ballons, pour les passer avec une précision d'orfèvre. « Il nous a gagné des matchs à lui tout seul, poursuit Ciculo, mais sa principale qualité c'était son altruisme. Il se faisait aimer partout où il passait. Un bijou. » Fan de Rijkaard, Luccin puise sa passion du jeu dans ses origines martiniquaises (par son père) et espagnoles (par sa mère). Sur le terrain, il impose sa technique raffinée et sa présence de fer. En dehors, il maintient cette retenue d'enfant bien élevé, hypersensible, encore nourri de son adolescence décontractée à Marseille, puis à Cannes. Cannes, préféré à Martigues. Il y part à l'âge de 15 ans. « Dès qu'on l'a repéré lors d'une détection avec Guy Lacombe, on a su qu'on tenait un réel espoir. Il n'éclaboussait pas par sa classe, mais on sentait vraiment qu'il avait quelque chose », rappelle Richard Bettoni, chargé à l'époque du recrutement des jeunes Cannois. Quinze ans : l'âge des doutes, du moment où la carrière oscille du bon ou du mauvais côté. Peter, replacé milieu défensif, a de l' avance. Davantage conscient de sa chance que bercé d'illusions, il est prêt à se battre et n' oublie pas d'où il vient. Ce « petit plus » évoqué par Bettoni en fait un double champion de France des moins de 17 ans et un capitaine de l'équipe de France cadets. « Avec Cannes, lors des poules finales, il a enchaîné les matchs sans perdre un seul ballon », insiste Bettoni.

« Il survolait tout le monde »

A la Bocca, le premier copain s'appelle Jonathan Zebina (AS Roma), un Parisien ! « Jonathan l'a canalisé. Son calme naturel a un peu déteint sur Peter, observe Michel Troin, alors responsable des moins de 17 ans. La chambre des inséparables ressemblait à un véritable garde-manger. Ils piochaient dans les réserves du centre de formation. » Son ascension est rapide. Le 24 août 1996 à Montpellier (1-0), Guy Lacombe l'intronise en équipe première. Cette promotion récompense, selon Michel Troin, « un élément hors normes, regorgeant de culot et aimant à se comporter en patron ». « A un moment donné, j'ai eu besoin d'un joueur et je suis allé voir la N 2. Il survolait tout le monde et je l'ai pris dans mon groupe. Il ne l'a plus quitté, même s'il n'a pas été souvent titulaire », explique Lacombe. Luccin suffoque. Tous les clubs le veulent. Courtisé par Monaco et Arsenal, le Marseillais aux dreadlocks débarque à Bordeaux sur les conseils de ses parents comme joker (6 MF) en décembre 1996. Il y fait une rencontre déterminante : celle de Rolland Courbis. Il n'allait pas regretter son choix. Ce club allait lui servir de passerelle vers le monde adulte.
Harold Marchetti



« Il voulait déjà être le meilleur » BERNARD GEAY, premier éducateur de Peter Luccin

PREMIER EDUCATEUR de Peter Luccin à Saint-Joseph, petit club des quartiers Nord de Marseille, Bernard Geay porte un regard attendri sur celui qui n'était alors qu'un « gamin doué » déjà contaminé par le virus du football.
A quel poste Peter a-t-il débuté ?
Bernard Geay. Il voulait arrêter ou inscrire des buts, alors on l'a mis gardien. Mais comme son équipe était de qualité, il s'ennuyait un peu. Un jour, l'arbitre ayant omis de siffler un penalty contre nous, il l'a même invité à revenir sur sa décision afin de s'occuper. Une autre fois, il a discuté avec des supporters au point de se désintéresser du match. Un adversaire attentif lui a alors marqué un but de trente mètres !
En quoi se différenciait-il des autres gosses de sa cité ?
Lors de petits jeux, ou au cours de rencontres marathon dans un parc, il était au-dessus du lot. Il se singularisait par son mental de gagneur. C'était un travailleur. Il voulait déjà être le meilleur.
Avez-vous été surpris de sa réussite ?
Le jour où l'on m'a annoncé qu'il était capitaine de l'équipe de France cadets, je me suis souvenu de sa maman. Même en poussins, elle se disait convaincue de sa réussite.
Propos recueillis par H.M.



Courbis : « C'est un surdoué »

LE NOM de Rolland Courbis, actuel entraîneur du RC Lens, est lié à celui de Peter Luccin. Mentor, ami et conseiller, le charismatique entraîneur lensois ne tarit pas d'éloges sur le néo-Parisien.
De quand date votre première rencontre avec Luccin ?
Rolland Courbis. Lors de sa signature à Bordeaux, en décembre 1996. Mais mon neveu m'avait parlé de ce gamin doué. Je le connaissais par personne interposée. Sa réputation a tôt fait de dépasser les frontières de Marseille.
Depuis combien de temps le suiviez-vous ?
Quand un joueur est natif de ma région et, qui plus est, de mon quartier, j'y prête une attention particulière. Pour l'une de ses premières apparitions en pro avec Cannes, face au PSG, il était au marquage de Rai. Il m'a sidéré par son aplomb. Dès son entrée en jeu, il était serein. C'était presque anormal, comme s'il s'agissait d'un banal match sur la place de son quartier. Sa décontraction, sa nonchalance, cachaient déjà son caractère de sacré compétiteur.
« Choisir le PSG dénote une certaine ambition et du culot »
Quels sont les premiers conseils que vous lui ayez prodigués ?
A 18 ans, il possédait déjà un incomparable éventail technique. C'est un surdoué. J'ai mis l'accent sur la sobriété, la simplicité et l'efficacité. Peter, c'est Monsieur Propre, il perd peu de ballons et les utilise toujours avec justesse.
En quoi avez-vous « beaucoup compté », pour reprendre ses propos ?
Nos rapports sont fondés sur une estime et une confiance réciproques. Je lui ai donné, modestement, des petits tuyaux à un moment clé de sa carrière. Je lui ai ainsi conservé toute ma confiance, même quand il n'allait pas bien. Il ne faut rien exagérer non plus. Je n'ai pas fait différemment avec Zidane auparavant.
Plus concrètement ?
Quand je suis parti à Marseille, j'ai dit à Peter de poursuivre son apprentissage un an en Gironde, dans un contexte propice à son épanouissement. J'allais à l'OM en éclaireur. Un an plus tard, comme ça se passait bien, j'ai tenu promesse et je l'ai récupéré. Il avait alors les épaules suffisamment larges pour rentrer chez lui et s'y imposer.
Comment jugez-vous son évolution de carrière ?
Il ne brûle pas les étapes. Choisir le PSG dénote une certaine ambition et du culot. Il savait ce qui l'attendait à son arrivée. Pour un enfant de Marseille, chanteur ou sportif, il n'est jamais aisé de monter dans la capitale et d'y réussir.
Jusqu'où peut-il aller ?
Il sera dans les 22 en 2002. Je le vois bien rester trois saisons à Paris. Ensuite, si aucune évolution n'intervient dans notre football, en termes de fiscalité, il partira dans un grand club étranger. Il a le potentiel pour s'imposer partout.
Propos recueillis par H.M.