Luccin et la "génération quartiers" - La Provence - 14 février 1999


A 19 ans, Peter Luccin est l'un des grands espoirs du football français. A l'OM, il continue de faire ses gammes. Heureux, à deux pas de chez lui, entouré de sa famille.

Jeudi matin, à la Commanderie. Il est en train de parler avec ses potes lorsque Robert Pires, revenu de Wembley dans la nuit, arrive pour une séance de décrassage. Peter Luccin le chambre gentiment. Une manière comme une autre de le féliciter. Luccin rigole. Le froid qui enveloppe le site d'entraînement de l'OM inquiète les dirigeants.
Stéphane Courbis passe à quelques mètres de là en voiture. Rappelle au gamin qu'il a rendez-vous dans vingt minutes chez le dentiste. Visiblement, l'interview qui débute n'enchante guère le fils de Rolland qui préférerait voir son poulain bien au chaud. Marcel Dib déboule à son tour : "Couvre-toi Peter". La phobie de la grippe frappe de plein fouet. Avec Ravanelli au lit, Dugarry en partance pour les 39° de fièvre et Gallas que l'on annonce patraque, les craintes sont justifiées.
Luccin sourit et décide de se mettre à l'abri.

La Provence : Quand vous voyez l'équipe de France s'imposer de cette manière en Angleterre, vous êtes plutôt du style à vous dire quoi ? "Super, Deschamps est sur la fin, il y aura bientôt une place à prendre" ou, au contraire, "la route est encore longue pour arriver au sommet" ?
Peter Luccin : "C'est fou, ce qu'ils ont réussi à faire. Quel match ! Deschamps, tout le monde dit qu'il est fatigué mais moi, je l'ai trouvé très bon. 82 sélections, vous imaginez ? Ça paraît inaccessible. Mais je crois qu'un joueur pro ne peut pas dire qu'il ne rêve pas d'atteindre ce cap en sélection, autrement cela voudrait dire qu'il manque d'ambition. Moi, je suis jeune, j'ai tout à apprendre. Dieu seul sait si un jour je pourrai afficher une telle carte de visite."

"Ma référence reste Rijkaard"
L.P. : Comment qualifier votre style de jeu ? Etes-vous un offensif qui aime défendre ou un défenseur qui adore attaquer ?
P. L. : "Je me situe entre les deux. On me dit souvent que je devrais jouer plus haut. Pour l'instant, j'adore évoluer devant la défense, amorcer les premiers mouvements de relance après la récupération. En fait, je suis un numéro 8."
L.P. : Vous donnez l'impression d'être le compromis parfait entre Tigana et Sauzée...
P. L. : "Je ne sais pas. Ma référence reste Rijkaard. Technique, puissance : il avait tout. Aujourd'hui, je me sens proche du style de Redondo qui, à mon goût, n'est pas considéré à sa juste valeur."
L.P. : Comme vous, Zinedine Zidane a commencé à Cannes avant de rejoindre Bordeaux. Mais, contrairement à lui, vous êtes resté en France et venu à l'OM. Trop jeune pour l'étranger ?
P. L. : "Je ne vois pas les choses comme ça. Faut arrêter de dire que les jeunes joueurs français ne peuvent pas s'imposer tout de suite à l'étranger. Anelka est bien en train de le prouver. Non, si je suis là, c'est uniquement parce que j'avais vraiment envie de jouer dans la ville où j'ai grandi. A Bordeaux, des rumeurs de transfert avaient circulé sur un départ pour l'étranger, mais je voulais en priorité évoluer à l'OM."

Une maison et une voiture
L.P. : Vous citez Anelka. Vous avez avec lui, et d'autres, comme Thierry Henry, la particularité d'être les leaders de ce que l'on pourrait appeler la "génération quartiers".
P. L. : "Oui, c'est mon identité. J'en suis fier et je la cultive sans trop en faire. Ma famille, mes amis vivent ou ont vécu dans les quartiers Nord de Marseille, à la Simiane, à Saint-Joseph. Avec Nicolas ou Thierry, on a cette culture en commun."
L.P. : Justement, un décalage ne se crée-t-il pas avec vos anciens amis depuis que vous touchez des salaires confortables ?
P. L. : "Non, pas du tout. Je passe souvent là-bas, j'ai conservé les mêmes rapports, même si je n'habite plus à Saint-Joseph."
L.P. : Que faites-vous de votre argent ?
P. L. : "Indiscret. Disons que j'ai offert une villa à mes parents, que j'en ai acheté une pour moi. Voilà. A part ça, je vis normalement, ma famille me conseille, le coach me donne aussi parfois son avis (NDLR : Rolland Courbis). Je crois qu'il suffit de garder la tête sur les épaules et de faire preuve de bon sens."
L.P. : Hormis les maisons, vous n'avez jamais fait de folie.
P. L. : "Non, ou plutôt si, je me suis acheté une BMW M3. C'était la voiture de mes rêves. Un rêve de gosse de quartier comme on dit."

Article de Guillaume Singer