Peter Luccin : le retour de l'enfant prodige - La Provence - 8 novembre 1998


Après avoir enthousiasmé le Vélodrome, Peter Luccin est revenu sur les traces de ses premiers exploits de footballeur, aux Caillols, où visiblement, personne n'a oublié son talent ni sa simplicité.

Reconnaissez-vous Peter Luccin dans cette équipe pupilles des Caillols 1991 ? Est-il inquiet ou très concentré ? A vous de voir. Au deuxième rang, le quatrième en partant de la droite. - Photo xdr

 

Beaucoup n'en croyaient pas leurs yeux. Subjugués par la classe et le culot d'un garçon de 19 ans pour son baptême du feu au Vélodrome. C'était face à Bordeaux, leader actuel, devant 60 000 personnes. Là où tant de joueurs de renom mirent des mois pour s'adapter, alors que certains ne s'imposèrent jamais, tétanisés par la pression, Peter Luccin n'aura eu besoin que d'un seul match pour conquérir son monde.
Impressionnant. "Je ne sais pas pourquoi, expliquera-t-il après coup, mais la pression ne me touche pas. Je ne l'ai même jamais ressentie". Une insouciance naturelle qui explique en partie cette réussite.
Stupéfait, un supporter se fendit même d'un "C'est qui ce Luccin ? Zidane ? ! éloquent sur l'énorme impression produite ce soir-là par le minot de St-Joseph. Une impression confirmée, depuis, à chacune des ses prestations...
Dans les travées du stade, d'autres savouraient pleinement. Eux n'avaient jamais douté de leur "pit". Le connaissant trop bien pour cela. Pour l'avoir côtoyé aux Caillols comme "Kikou" Avarello dit "la bombe", "Gé" Coulon, ou "Capitaine" Salimou. Pour l'avoir dirigé comme Alain Chabert ou Marc Olive, respectivement en pupilles et en moins de 15 ans.
Un clan caillolais réuni au grand complet pour fêter l'enfant prodigue. L'olympien avait, en effet, tenu à revenir sur les traces de ses premiers exploits. "De mes plus belles années" tranchera Peter...

Un véritable métronome
Le jour venu, l'accueil tourne à la liesse au siège des Caillols. Le décor est planté. Peter, tenue décontractée, sourire angélique, entouré de ses compères et d'une bande de bambins aux anges. Derrière lui, trônant dans la vitrine du club, deux photos d'égal format se font face. D'un côté Cantona, stoïque, autre pur produit caillolais, de l'autre Luccin, rayonnant. Rapidement, l'émotion suscitée par ces retrouvailles cède la place aux souvenirs d'une époque dorée. "La première fois que je l'ai aperçu, se rappelle Yves Ciculo, président des Caillols, tout en serrant Peter dans ses bras, c'était lors d'un match de poussins contre Vivaux Marronniers. A un certain moment, j'ai vu l'un de leurs joueurs intercepter le ballon et lober le goal du milieu de terrain. Immédiatement, j'ai dit : ce garçon, il nous le faut. C'était Peter Luccin". Une anecdote qui a le don d'amuser l'Olympien : "Je me souviens encore de leurs têtes ce jour là".
"Il faisait des gestes techniques inimaginables à cet âge, enchaîne Salimou. "Lui, c'était mon capitaine" interrompt affectueusement Peter alors que Kikou "la bombe", un peu intimidé, se contente d'un "Il était trop fort" admiratif. "Je l'ai vu gagner des matches à lui tout seul, raconte à son tour Marc Olive. "Mais sa grande qualité, c'est son altruisme sur le terrain et en dehors. Il a le don de se faire aimer, partout où il passe. C'est un bijou".
Un métronome, pourrait-on ajouter. Récupérant une multitude de ballons, souvent dans des positions délicates, pour les distiller avec une précision d'orfèvre. Maître dans l'art d'orienter le jeu, d'effectuer, avec une facilité déconcertante, le geste idéal au moment propice.

"Nous devons le titre à nos supporters"
Gêné par ce concert de louanges, Peter préfère mettre l'accent sur "la chance sans laquelle aucune carrière n'est possible". "Ce qui m'énerve, poursuit-il en montrant ses potes, c'est qu'ils n'aient pas réussi eux aussi. Ils auraient pu."
Il reprend son souffle, esquisse une grimace et poursuit : "Lui, par exemple, "la bombe", j'ai rarement vu un joueur aussi rapide". "Dommage qu'il ne poussait jamais un ballon au fond des filets" s'empresse de corriger Salimou.
Un Salimou qui profite de l'hilarité générale pour chuchoter : "Ça, c'est tout Peter. Il pense toujours aux autres. Il n'a jamais oublié ses amis. Souvent, il m'appelait après un match pour me faire partager sa joie. Malgré le succès, il ne changera jamais... "Eux, reprend Peter, soudain nostalgique, Kikou et Jérome, c'étaient des chambreurs hors pair. Ils n'arrêtaient jamais. Mes cheveux, par exemple, les faisaient beaucoup rire."
Puis, inévitablement, l'OM vient dans la discussion : "Cette saison, clame-t-il déterminé, il faut finir premier. Champion. Nous le devons à nos supporters". Suit une longue séance d'autographes. Peter se dirige vers sa voiture avant de rebrousser chemin, l'air inquiet : "Vous avez bien noté le nom de tous mes amis ? interroge-t-il, en insistant bien sur le "tous". Et il se met à les épeler, un par un, avant de repartir, l'air rassuré.
Le maillot du centenaire de l'OM lui va bien. Peter Luccin est un garçon en or.

Article de Laurent D'Ancona